jeudi 12 juin 2025

Dans l'espace d'un dessinateur de presse

Une heure d'échanges, de conférence, de questions... avec l'excellentissime Soulcié 


aux 400 coups de Poutou, en presence des Expé
  

Je fonctionne par esquisse, je fais des propositions. L'Est Républicain m'en demandent au moins trois. Souvent j'en fais plus parce qu'après les invendus je les propose le lendemain, pour optimiser mon flux de travail.
A Marianne et à l'Est Républicain et à Télérama, et à la Revue dessinée ils ne prennent pas la même chose.
Et une fois, ce bon alexandre... qui est de droite... je lui propose un truc vraiment très bateau... Il me dit "C'est un peu partisan ça tu vois", en fait lui il craignait d'avoir beaucoup de courriers de personnes qui recevaient l'Est Républicain et qui auraient voté RN et qui étaient choqués par ça. Donc lui pour s'éviter les emmerdes, il me dit non. 

Est-ce qu'il y a des personnes avec qui tu travailles depuis le début que tu fais du dessin de presse ? Et est-ce que tu vois une différence dans ce qu'ils te demandent ?

Par exemple, ça fait très longtemps que je travaille pour télérama, ça doit faire 15 ou 16 ans. J'y ai eu plusieurs chefs qui ont changé, et ils sont plus ou moins intéressés, mais ce qui est marrant, c'est que je regardais les dessins que j'avais passés, et notamment après Charlie Hebdo, et en fait, j'ai passé plein de dessins avec Mahomet, et des trucs sur des politiques aussi très très... "musulmans" du gouvernement...
avant ils passaient des trucs beaucoup plus véhéments, libres... ils avaient la version papier et la version web et nous on s'amusait à faire un dessin, et puis petit à petit ils ont fusionné les deux trucs, donc l'esprit de sérieux a investi le web et de temps en temps télérama ils me disent : bon, c'est bien mais on aimerait des trucs un peu plus culturels, parce qu'on est quand même dans un journal culturel.

C'est assez rarement des dessins sur le sport que je fais pour l'équipe, parce qu'à travers le prisme du sport tu peux interroger d'autres aspects de la société.

Ce qui m'ennuie avec les gens avec qui je travaille et moi-même (c'est que je travaille avec moi-même depuis longtemps dans ma tête), c'est que je tourne en rond, c'est-à-dire que les sujets tournent en rond.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, il y a beaucoup d'inégalités et de dereglement climatique. Ça fait des années que j'ai commencé... si tu me dis "fais un dessin sur la canicule"... Qu'est-ce que tu veux que je fasse de mieux que les trois premiers où j'étais déjà au max, tu vois ?  Donc, je suis un petit peu choqué parce que moi, je dessine pour rigoler et pour que le monde change dans le bon sens, et je vois que personne ne prend en compte mes dessins. Sauf - on s'en est rendu compte avec les collègues - sauf l'équipe de Trump. Il dit plein de bêtises et il fait beaucoup rire, et ça c'est notre boulot. On est caricaturiste : notre métier, c'est d'exagérer. Donc, nous, on fait un truc pour exagérer, ce que Trump a fait, trois jours après, il fait le truc qu'on avait dit ! On s'est demandé à quel point il ne nous prennait pas comme source d'inspiration.

En fait, ce que tu disais au début, c'est que comme tu es pigiste, tu n'es pas libre en fait. C'est-à-dire que tu vis pour que tes dessins soient acceptés. Alors que si tu avais ete salariés, tu aurais un peu plus de latitude.

Mais ça n'existe plus vraiment. Oui, c'est quand même une bonne garantie d'être salarié. Que tu passes un dessin ou trois dessins, ce n'est pas la même chose.
Après, le statut de pigiste, il est précaire, mais le banquier, lui, il croit que c'est des salaires. Donc, ça, c'est pas un problème.
En fait, je multiplie les collaborations. Moi, je préférerais avoir un journal où je passe mes dessins.
Coco à Libé, elle a plusieurs avantages sur moi. Son boulot c'est de trouver le meilleur dessin possible entre 9h et 18h. C'est un métier cérébral, mais là c'est cool.
Et l'autre avantage c'est qu'elle est intégrée à la redac. C'est-à-dire qu'elle peut échanger avec son directeur artistique, elle peut parler avec les journalistes, elle peut prendre part aux conférences de rédaction... Là où moi, je suis tout seul et je suis isolé. Souvent, quand ils font le journal, tu vois, je parle pour L'équipe, t'as des chefs de rubriques et des gens qui font des papiers, des dossiers et tout le machin, et puis en dernière page, il y a un trou, et c'est le dessin des dessinateurs, et quand on le dépose sur le serveur FTP, ils le collent : on est bouche-trou.
Alors que paradoxalement, quand tu prends le journal comme Le canard enchaîné, c'est le premier truc que tu regardes. Donc c'est quand même hyper important.
Mais oui, je suis tout seul, isolé, et je multiplie les piges. Ce qui fait que quand je dois partir en vacances, pour me recharger, pour rencontrer mes enfants, je suis obligé de jongler. Si j'ai cinq journaux, je suis obligé de mettre en pause les cinq la même semaine. C'est très compliqué, parce qu'en général, on est plusieurs à tourner. Moi, j'ai des jours fixes pour l'Est républicain : je dessine le dimanche pour le lundi, le lundi pour le mardi. Et pour l'équipe, je dessine le lundi pour le mardi et le mardi pour le mercredi. On est une équipe de 4 dessinateurs à chaque fois. Donc quand moi je peux partir en vacances, je demande si quelqu'un peut m'échanger un jour, ou si je donne un jour, et puis voilà. Ce sont des considérations administratives qui ne sont pas très amusantes.
J'ai fait le planning pour l'été, je trouvais que c'était pas une très bonne session de mon temps.

Je voulais dire au niveau invention de dessin, si jamais tu te sentais un peu coincé parce qu'il fallait que les journaux acceptent les dessins.

Après j'aime bien chercher, je trouve que c'est ce qui fait le sel de mon métier, c'est ce qui est agréable.
Tu cherches des trucs et des moments, paf, ça percute.

Mais du coup moi ça m'intéresse de savoir si ton rythme a évolué du moment où tu as commencé, comment tu crées maintenant et comment tu créais avant, est-ce que ça a changé, est-ce que c'est toujours pareil ?

Maintenant je suis payé.
[...]
Je ne sais pas si tu connais Rémi Catellain. Il n'a pas vraiment de journal, et il publie au long de la journée selon ce qui arrive. Très chiant pour moi parce qu'il est quand même très bon, il maîtrise bien les sujets. Et heureusement, c'est trop bizarre pour la plupart des gens. Cattelain c'est un truc de spécialiste, genre jazz fusion, des années 70...
Et maintenant, ce qui se passe, c'est que je fais des esquisses. Voilà, il y a un changement qui est parvenu. A Marianne, comme à Siné, ils avaient un truc à l'ancienne, qui était vraiment horrible, qui a été formateur pour moi jusqu'à un certain point. C'était, par exemple, il y a une page avec plein de dessins d'actu. Dans Marianne, il y a 9 dessins d'actu par semaine.
En fait, on ne dirait pas, mais Marianne, c'est un des magazines où il y a plus de dessins de presse. Il y a très peu de places de dessins de presse dans les journaux. Il y a un dessin de Coco, c'est la place de Coco (dans Libé). Il y a les dessins dans le Canard enchaîné, c'est une chapelle très bizarre des années 60, on ne sait pas ce qu'il y a dedans. Charlie Hebdo, c'est un bunker ou il faut prêter allégeance à Riss et vivre une vie de moine-soldat dans un bunker qu'on sait même pas où il est. Et à part ça... il y a un dessin de Joann Sfar dans Paris Match, la page de BD de Lisa Mandel dans l'Obs, qui est clairement de l'actu. Mais il n'y a pas tant de places que ça dans le dessin de presse.
Le Monde, ils ont trois fois par semaine un dessin qui leur est proposé par Catherine de Fortis. Et en général, c'est le plus tiède possible. Il n'y a pas de prise au vent. Je n'aime pas dober sur les camarades. Mais le choix est mauvais, quand même.

Et donc, dans Marianne, ou dans Siné, il y avait une page avec plein de dessins. Ils disent, on boucle tel jour à telle heure : envoyez vos dessins. Et là, ils choisissent les meilleurs. C'est-à-dire qu'il y a trop de monde qui propose par rapport à la place faite aux dessins. Et s'il y a un gars qui est très bon, il va en avoir deux ou trois de pris.
Au Canard enchaîné, c'est pareil. J'ai une copine qui a commencé au Canard enchaîné. "Ça fait deux semaines que je n'ai pas de dessin de pris". "Ah chuis contente j'en ai deux cette semaine". Ça fait quand même un effet de montagne russe, et c'est pas bon pour le moral.

Donc à Marianne, à un moment donné, c'était comme ça. Ils avaient Tignous qui était salarié. Il n'est plus là depuis Charlie hebdo, et il reste Gros qui est salarié. Et si un journal a le choix entre deux dessins qui se valent, entre un mec salarié et un mec qu'ils payent en plus, ils prennent le dessin du mec salarié. A Charlie Hebdo, il fonctionnait comme ça aussi, tu envoies les dessins et tout.
Et donc, s'il y a une grosse actue, mettons la dissolution, les journaux vont avoir tendance à passer les dessins à propos de la dissolution de leurs dessinateurs principaux. Donc moi j'ai remarqué qu'à Marianne, ils me prenaient tout le temps les dessins sur Bachar el-Assad, qui faisait des saloperies, mais à un niveau d'actualité moindre que l'actu française. Et donc, pendant un an ou deux, j'ai fait que du Bachar el-Assad, de l'Irak, tu vois. J'étais le dessinateur world-conflit mondial. Finalement, ça m'a permis de me faire mes armes. Mais du coup, c'est à double tranchant parce que tu te dis "Ah, il m'ont prit un comme ça la semaine dernière !" Donc, inconsciemment, tu vas proposer le même genre de dessin la semaine suivante... pour qu'il te le reprenne. Donc effectivement, t'es pas du tout libre quoi.

Et puis, par contre dans la presse un peu plus... Il y a de la presse fabriquée par des gens cools, des journaux locaux, des trucs militants... là y a du dessin de presse. J'étais à Paris à une soirée Fakir et il y avait un super journal réalisé juste en region parisienne, comme CQFD mais un peu plus parisien. Mais il y avait plein de dessins dedans. Donc c'est toujours possible de se faire la main, parce que ce qui change vraiment entre publier un dessin sur les réseaux sociaux ou publier un dessin sur le papier : quand tu sors dans le journal, tu as les articles autour et que tu vois ton dessin imprimé, ça change vraiment le truc. Tu te rends compte des défauts, tu lis les trucs qu'il y a autour et finalement ça te nourrit aussi.

Les reseaux sociaux ça a été intéressant pour toi ?

ça a été super intéressant pour moi à un moment donné, ça m'a rendu très malheureux parce que je voulais juste avoir des petites boîtes rouges avec des likes, et les algorithmes ont changé et j'ai mis du temps à me rendre compte que le travail c'était d'être payé pour faire des dessins dans les journaux, qu'ils soient commentés sur les réseaux sociaux ou pas, et du coup comme l'algorithme a changé à l'époque où j'ai commencé à l'équipe il y a 15 ans, j'avais des trucs de 50 000 likes, 100 000 likes, j'étais là "youhou". Maintenant un bon dessin il fait 450 ou 3000. T'as l'impression de plus valoir rien. Mais en fait, il ne faut pas indexer sa valeur sur ça, parce que tu as des dessins qui font des buzz de ouf  sur les réseaux sociaux qui sont nuls, et tu as des dessins de génie sur les réseaux sociaux qui font genre 3 likes.
Par contre, tu as des directeurs artistiques qui traînent un petit peu sur les réseaux sociaux et qui cherchent des choses nouvelles et tout.

T'y trouves encore ton compte ?
[...]
J'étais en train d'être lourd, quoi. C'est comme si t'avais l'alcool et la cigarette, tu sais. 7Tu respires mieux au bout de trois jours, mais au bout de deux semaines, ta peau est meilleure, et au bout de six mois, tu te dis, mais pourquoi je faisais ça, quoi ?

Je pense que si j'avais le courage, je partirais.

Parce que tu n'en as pas besoin pour faire ton travail, ça ne t'apporte pas une visibilité, tu bosses déjà.


Non, ça ne m'apporte pas une visibilité.
Et d'ailleurs, un truc très marrant. J'ai fait beaucoup d'agitations, de promos sur les réseaux sociaux pour mon livre que je vous présente ce soir... sans plus... Et j'ai récupéré mon ancien listing de mail des 1000 personnes qui avaient acheté le précédent. Et j'ai eu plein de gens qui m'ont répondu. Et qui m'ont dit "ah mais je ne savais pas que tu sortais un livre cette année". Tu vois, donc en fait, tu t'agites pour une certaine bulle, quoi. En plus, ma bulle, moi, ça doit être vraiment auprès des illustrateurs.

Oui, ils t'enferment dans un truc.

Non, ouais. Et en plus, là, Zuckerberg, depuis qu'il est devenu un peu masculin, il trie de plus en plus les contenus politiques.
Tu n'as aucune obligation, en vérité, de faire des contenus gratuitement pour l'aspirateur IA. Par contre, moi quand je fais quelque chose, moi je suis vraiment un petit garçon â sa maman, moi quand je fais quelque chose de rigolo, j'ai envie de faire "hin hin ! Regarde ce que j'ai fait".
Donc tu fais ça sur les reseaux sociaux, mais en fait tu le dis à tout le monde et du coup tu le dis à personne aussi. Donc moi je pense que je suis sur un processus où je vais plutôt créer ma newsletter pour avoir des gens qui savent que c'est moi qui me demande et que ça passe pas par les réseaux sociaux.
Et là, j'ai plus d'energie... mais ce que je voulais faire... au lieu de faire mes BD sur Instagram, je voulais faire des fanzines, par courrier... t'en fais un puis deux, et puis un troisième, et ça fait un livre.
Et puis c'est cool parce que tu peux te permettre l'erreur, et puis tu as le côté, j'aime bien le côté exclusif du fanzine, tu te dis j'en fais 200 et puis c'est tout.

Il y a eu deux gros apports pour moi pour les réseaux sociaux qui fait que j'ai encore le réflexe d'y aller. Le premier c'est que Twitter c'était vraiment génial à un moment. Quand c'était vraiment au top de l'info, pour moi c'était un super terrain de jeu, il y avait des gens avec vraiment beaucoup d'esprit, il y avait beaucoup de journalistes, il y avait beaucoup d'infos...
Blue Sky c'est un peu pareil, c'est un peu plus privé maintenant que Twitter avant où c'était vraiment large comme terrain de jeu.
Et Instagram c'est le truc qui m'a redonné envie de faire des BD, pendant le confinement. Je faisais plus de BD parce que j'avais beaucoup de boulot par ailleurs et puis j'étais vexé parce que ça n'a jamais marché moi mes BD. Et Instagram, j'ai fait des BD sans pression pour raconter, juste faire des BD rigolotes. Et ça, ça m'a redonné envie de faire des BD rigolotes. Et c'est pour ça que je pense que j'y retourne. Ah, c'est rigolo Instagram !
Après mon pub d'avant c'était chez Exemplaire et eux c'est un... un éditeur qui va te fournir les outils pour faire une sorte d'auto-édition, le livre n'est pas distribué en librairie, et tu fais financer ton impression du livre par les gens, mais il faut que tu aies assez de followers sur les réseaux sociaux, tu vois ? Et donc pour que tu aies assez de followers, il faut que tu postes régulièrement, parce qu'il faut jouer le jeu des réseaux sociaux. pour jouer nos jeux.
Moi, j'ai des outils d'audience professionnelle là-dedans, là, et ils me disent, oh, c'est bien, tu as pas fait de contenu, tu vois, parce que si tu postais plus de contenu, tu aurais plus de followers. Mais là, ça a vraiment changé parce qu'il me dit, c'est bien ton poste, mais tu sais quoi, 14 euros, 14 euros, je monterai à 15 000. Si tu veux le montrer à toute ton audience, tu payes.

J'ai vu que tu bossais pour la revue dessinée, ça t'arrive de faire des contenus longs ?

Oui, j'en ai fait. J'ai fait deux fois cinq pages à propos du sport et j'ai fait trois ou quatre ou cinq sujets qui faisaient entre 20 et 30 pages pour eux. Ça m'arrive, mais je trouve qu'ils ne payent pas assez. Je trouve qu'ils ne payent pas assez et du coup ce qu'ils m'ont dit, c'est que ça c'est le problème de l'édition, comme ça ne paye pas de ouf, tu vas être tenté de le faire vite pour que ce soit rentable et du coup tu vas faire une économie de moyens qui fait que ça va ressembler un peu à tout le monde...

Alors quand j'en ai marre de la fiédeur des journaux sous-démocrates pour lesquels je travaille, je me sens repousser des tripes et je propose des trucs de violence qui ne me prennent jamais.
Ce n'est pas vrai, parce que la semaine dernière, à la revue dessinée, on a pris un dessin d'un char israelien qui ecrasait des enfants. Alors, j'ai feinté. J'ai fait une version où le sang était blanc. J'ai fait une version gore réaliste et une version allégée au niveau des couleurs. C'etait moralement acceptable.
mais oui alors oui et non parce que oui parce que j'ai beaucoup de rage et de

colère vers le monde qui m'entoure. Donc, ça a besoin de s'exprimer. Et aussi, mais aussi, en vieillissant, c'est pas que je me ramollis, c'est que finalement, tout...
C'est pas que ça me paraît plus acceptable. Il y a des trucs qui me faisaient marrer dans l'outrance quand j'avais 20 ans, qui maintenant, ne m'intéressent plus, comme genre de transgression. Tu vois que Charlie hebdo, ils forcent. Et moi, je ne suis pas dans ce sujet-là.
A tel point que, et j'en parle dans mon livre, dans la tête d'un dessinateur de presse, sur le comptoir pour 25 euros seulement, le super festival de dessin de presse de Lyon, c'est un super chouette festival. Pourquoi c'est un chouette festival ? Parce qu'il y a, d'habitude, des festivals de dessin de presse, c'est... Tu invites des gens qui ne publient pas beaucoup, qui boivent beaucoup et qui sont sympas. Et à le Festival de Lyon, ils invitent des dessinateurs en service, en fonction, et ils invitent aussi des gens de la presse. Ils invitent les directeurs artistiques, ils invitent les Red Chefs, ils invitent... Et donc ça discute, en fait, des tables rondes. Des tables rondes et pendant les tables rondes, des dessinateurs dessinent. Et donc c'est hyper drôle et hyper intéressant. Je vous recommande ce festival.

Et la dernière fois, ils avaient comme projet... ils voulaient faire une expo interdite aux moins de 18 ans derrière un rideau.. en plus, parce qu'eux, ils cherchent la limite de leur liberté par rapport à la mairie.
Envoyez-nous vos dessins immontrables.
Et là je dis "Ha ha ! " Je vais aller dans mon dossier secret où je mets les dessins horribles. Et je me suis rendu compte qu'il était presque vide. Parce qu'en fait j'ai pas cette volonté là. Et que en fait ce qui est vraiment pour moi transgressif et dégueulasse en fait c'est les dessins

sexistes, racistes, pédocriminels, ce que tu veux quoi. Moi ma limite elle est là. Parce qu'en fait dans le dessin de presse la limite c'est la limite de la loi. La limite de la loi théorique et la limite de la morale du moment quoi.

Et donc je me suis quand même énervé.

J'ai fait des dessins dégueulasses, mais je les ai fait en esquisse, pour ne pas qu'ils soient définitifs, pour ne pas que ce soit trop grave. Mais ce qui m'arrive par contre, c'est de faire des dessins dégueulasses de droite. Et en général, je signe Soulcié de droite, et je le mets dans mon dossier de droite.

Bon c'est facile, il suffit de dire que les chômeurs c'est des fainéants et que grosso modo c'est ça, que les etrangers c'est des criminels... et c'est ça qui est dommage, c'est qu'il n'y a pas vraiment de très bons dessinateurs de droite. A part Gorce quoi, il n'est pas très bon tout le temps, pas assez, ça reviendra si on laisse un peu... le point c'est quand même pas mal.

J'travaille pour Marianne une fois, j'assume pas quoi. Le point c'est chaud. Après ils paient hein.

La presse ou le magazine de droite qui prennent les dessinateurs de gauche

c'est quoi ? c'est l'histoire de montrer que les équilibres... c'est quoi leur préoccupation, leur calcul s'il y en a un ... peut-être de montrer qu'il y a une sorte d'ouverture d'esprit

Mais moi j'ai un copain qui a fait des essais au point parce qu'apparemment le point ils ont ouvert, ils ont cherché un autre dessinateur et premier dessin il l'a passé. Et le deuxième dessin, ils ont dit non, et du coup ils ont arrêté l'essai avec ce gars là.

Et j'ai un copain qui m'a ultra choqué, c'est un bon copain de festival, qui est très drôle, et il y a un jour il a dit
"Ouais, moi, je ne suis pas à Valeurs actuelles." Là, c'était un gros cas de conscience. On a beaucoup discuté entre nous, on a dit « Est-ce qu'on l'excommunie de la société des dessinateurs ? » On s'est dit, après, entre les attentats, le cholestérol, les AVC et tout, on s'est dit « Si on ne parle plus à Fred pour tout ça, c'est dommage. » Après lui, il a de gros besoins financiers. Il m'a dit qu'en fait, il dessine beaucoup pour la PQR, il dessine pour la Croix aussi. Et donc lui aussi, il a beaucoup de propositions. Et il m'a dit « En fait, j'envoie toutes mes propositions pour la Croix et la PQR à Valeurs actuelles, et ils ne prennent que les dessins qui tapent sur la gauche. ». Et le scandale c'est qu'ils payent même pas bien.

En tant que dessinateur de presse, on est isolé et on est tous des concurrents des autres. Et on est en train de voir si on peut remonter une section à l'intérieur du CNJCGT... Donc on est un peu livré à nous-mêmes. Enfin, c'est bête, mais nos journaux, c'est ceux qui veulent de nous aussi. Tu vois, ce n'est pas toi qui dis non. En général, tu n'as pas le luxe...
Tu vois, c'est le truc de Marianne. Moi, j'ai des copains, ils n'ont que ça. Ils avaient Siné mensuel. Siné mensuel s'arrête : ils n'ont plus que 800 euros de Marianne.
Et mes copains me disent, est-ce que si je n'ai plus de publication, je suis encore dessinateur de presse, est-ce que ça vaut le coup que je continue, finalement, plutôt que de faire tout seul chez moi ?
Alors, la facilité qu'on a par rapport aux médias televisuels, c'est que comme le dessin de presse, par essence, est un petit peu protestataire et contre les valeurs traditionnalistes de l'ordre établi, bizarrement, il y a moins de dessins de presse dans les journaux. Voire pas du tout. Le Figaro, il n'en a presque pas. Tu lis un gars turc, tu vois, ils n'ont plus de Faizant. Parce qu'en fait, pour eux, ça secoue trop.
La question ne se pose pas. Non, la question ne se pose pas vraiment.

L'Express, de temps en temps, ils peuvent appeler pour te faire illustrer un dossier ou quoi.
Le Point, eux, ils ont un dessinateur. C'est une question que tu te poses en vrai quoi.

Il n'y a pas d'esprit collectif en fait.

Ça marche par espèce de petites bandes et d'affinités quoi. Je vois qu'à Marianne on est assez soudés parce qu'on a un groupe WhatsApp et que si c'était Sterin qui devait racheter le truc, on serait partis, ça aurait été hyper classe...que maintenant c'est mi-figue, mi-raisin et qu'on ne sait pas trop. Mais on a toujours notre Whatsapp qui s'appelle l'orchestre du Titanic qui a dessiné pendant le naufrage du bateau.
Mais donc, ça va marcher par affinité.

Puis en général, tu as ceux avec qui tu peux filer les plans que tu ne peux pas faire...

J'ai un copain, mon copain Aurel, par exemple, parce que la question se pose pour travailler pour des politiques aussi.
Parce que ça peut être aussi du boulot de commande. Et mon copain Aurel, il habite à Montpellier et il travaille souvent pour un sénateur socialiste du coin, qui lui demande un truc pour illustrer son bilan de fin d'année ou sa carte de vœux ou n'importe quoi. Et lui, son truc, c'est de dire, c'est OK si on est deux ou trois. Si ce n'est pas un truc où tu as l'impression de sponsoriser les idées du type.

on se co-opte pour des projets collectifs, il y a un livre de dessins pour le secours populaire français, c'est une copine de Marianne qui chapeaute ça, elle fait bosser son entreprise.

Il y a une histoire de maison du dessin de presse aussi, que Macron a dit, il faudra faire une maison de dessin de presse,
Et donc il y a des hauts fonctionnaires qui se sont mis sur ce projet-là, ils ont dit qu'ils voulaient une maison de dessin de presse, et donc il y a toute une chaîne de commandes qui se met en branle, et on a eu une grande enquête des visios avec des gars, des gens du ministere de la culture, qui travaillaient pour les hauts fonctionnaires, qui chapeautaient le projet, qui t'appellent, qui parlent, qui disent "comment tu travailles, qu'est-ce que c'est,

qu'est-ce que tu penses que c'est important, dessin de presse"

et toi ils te posent des questions, est-ce qu'on fait un musée, est-ce que...
Et donc à l'intérieur, en fait, tu as des forces dans le dessin qui essayent de capter le pouvoir du truc.
Le festival de Saint-Just-le-Martel, qui aurait bien voulu que ce soit chez eux, parce qu'ils ont un festival depuis 30 ans là-bas, international.
L'équipe de Charlie Hebdo, elle va avoir sa salle à l'intérieur du musée, et donc le risque c'est d'avoir un musée de la presse qui soit mausolée, qui s'arrête à 1950.
Ou alors tu fais une maison de la presse qui soit une pratique actuelle aussi, qui permet d'exposer des gens vivants,

parce qu'il y a souvent des expositions dans la BNF où c'est plutôt des gens morts.

Donc franchement, on est de moins en moins...

Je crois que des dessinateurs de presse avec la carte de presse, on doit être 36. C'est rien du tout ! Vous avez attrapé un Pokémon très rare !
Il y a des gens qui en vivote. Ils vont être prof à côté, ou intervenants, ou... Il y a des trucs de commandes pour je ne sais quel journal de quelle université ou quoi.
C'est pas... Nous, on veut tous le Canard enchainé.

Ça aide pas d'avoir des potes qui y travaillent ?

Il peut te raconter comment ça se passe. Mais la discussion va changer de ton quand tu vas demander "Est-ce que tu peux me donner le contact de ton chef ?".

Quand je suis sorti de l'école, j'ai...  

J'étais aussi à l'école des arts des cours de Strasbourg et ils ne m'ont pas donné mon diplôme. J'avais mal présenté mon truc, j'avais des dessins qui étaient vraiment très violents à l'époque pour le coup quoi. Mais c'était exprès ces dessins d'humour noir, c'était assez violent. Tout le monde dans ma classe faisait des petits chats, avec des petits chapeaux. C'était vraiment une sélection de dessins de bd jeunesse, là-bas. Et moi, ils m'ont dit « Non, tu es une bête sauvage, tu ne pourras jamais travailler pour la presse »

Six mois après, j'étais au bouclage de Charlie Hebdo, parce que j'avais envoyé mes dessins, et ils m'avaient appelé... et Tignous m'avait appelé et m'avait dit « Ah ouais, c'est bien, tu devrais venir dessiner avec nous. » Alors moi, j'avais 22 ans, je suis arrivé à Charlie Hebdo au bouclage, y avait Cabu et tout... C'était génial et puis je suis allé 3-4 semaines et puis il y a un grand mur, c'est à l'époque de Philippe Val encore... Il y avait un grand mur, tout le monde mettait ses dessins, et puis les touristes, les jeunes et tout, ils étaient sur le côté, tu vois.

Et Val arrivait, avec ton grand front. Il ne regardait même pas les petits comme ça.
Il pointait un dessin "Ha ha, ça c'est drôle" "ça on va changer le titre".
Je suis allé trois, quatre semaines, quoi.

C'était une super expérience, et au bout de 3-4 semaines, Tignous m'a dit, c'est vraiment nul ce que tu fais, c'était mieux ce que tu nous envoyais, je pense que t'es pas mûr... revient plus tard, tu vois, on essaie plus tard.
(j'ai déjà essayé au Canard enchainé, ils ont, je ne sais pas combien, 120 ans, je ressayerai dans 5 ans, ils seront toujours là.)
Et j'ai dit, ah ouais d'accord... Et sinon, tu veux pas me donner le contact pour Marianne ? " Mais y a 2 dessinateurs, pourquoi je te fais rentrer en plus un 3eme dessinateur dans mon journal ?
Donc, faut attendre que quelqu'un meurt.
Rires

Ouais, l'attentat de Charlie, ça a fait un gros appel d'air à Charlie et à Marianne et à tous les trucs que les autres faisaient à droite à gauche, parce qu'on voulait tous les trucs à droite à gauche.

Je vais pas m'alonger pour une seance de psy, mais quand Petillon est parti du Canard parce qu'il etait malade... et qu'il supportait pas qu'à chaque fois on lui prenne son plus mauvais dessin... après 40 ans, et su'il etait quand même assit dans le game - Petillon c'est quand même le meilleur pour moi - il m'avait fait un email en gros "j'ai parlé de toi, je m'en vais, vas-y, propose des trucs"... j'ai prposé pendant un an, et même adoubé par un grand, ça marche pas. Donc je ne sais pas comment faut que je fasse. Faut que j'aille plus serrer des mains â mon avis.

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