jeudi 26 septembre 2024

La lumière fut

En 2015, Ferdinand Lutz participait aux résidences croisées Land Hesse - Nouvelle Aquitaine. C'est là que je l'ai rencontré, et ai réalisé cet entretien pour l'agence régionale du livre.


Est-ce que tu dessinais enfant ?
Je dessine depuis tout petit. J'étais dans une école un peu expérimentale, où on avait 2 ou 3 heures chaque matin pour faire ce qu'on voulait. A partir de ce moment, j'ai écrit comme un fou, je pense que j'ai fait 2 histoires de Lucky Luke par jour. J'ai déménagé et je suis entré dans une école normale. Un jour, le professeur m'a demandé de lire une de mes histoire en classe. Malgré mes difficultés scolaires, il y avait ce genre de chose qui m'intégrait au groupe. C'était vraiment une chance, d'avoir rencontré ces gens qui m'ont laissé faire et qui m'ont encouragé. Je pense que mon envie de dessiner, et surtout de faire des histoires, vient de cette expérience là.

Tu ne t'es pas formé au dessin ?

J’avais une sorte de maître, quelqu'un déjà dans le monde professionnel. Je suis rentré en contact avec lui à 12 ans, je lui ai envoyé des dessins chaque semaine. Il était plutôt sensible à l'histoire et aux idées. Il m'a toujours encouragé. J'ai toujours écrit des pièces radiophoniques, je pense que je suis plus doué dans le scénario que dans le dessin. Le dessin pour moi est très important parce que j'adore celui des autres, et c'est souvent leur style qui m'enthousiasme. Quand je vois des gens qui ont fait des études d'art ou d'illustration, je me sens complexé. Depuis un an, je fais des dessins sans regarder ma feuille pour arriver à quelque chose que je ne ferais pas naturellement, quelque chose de nouveau qui me surprenne, pour rendre mon dessin un peu plus intéressant. Ça m'a beaucoup aidé. Je pense que j'ai fait des (tout petits) progrès. C'est en lisant des entretiens avec des auteurs que j'ai compris l’intérêt de faire des carnets de croquis. Je suis autodidacte, et personne ne me l'avais conseillé plus tôt. J'ai vu ce que des auteurs confirmés ont dessiné, et ce que ça leur a apporté. J'ai commencé à en faire il y a un an, et j'avance vraiment avec ces carnets.

Comment s'est passé ta véritable entrée dans le métier ?

Pendant mes études, en 2006, j'ai commencé à faire quelques scénarios de Käpit'n Blaubär, puis de Dr Bubi Livingston pour Johann Kiefersauer, que j'avais approché en tant que fan. Il a regardé ce que je faisais, et on m'a demandé de faire quelques scénarios pour lui. J'en fais depuis presque 10 ans, maintenant en alternance avec un autre scénariste. J'ai vite compris que les métiers auxquels mes études d'économie et de sociologie me destinaient n'étaient pas supportables. J'ai fait un stage aux Nations Unis en 2011, et j'ai découvert que c'était très banal, dans un bureau, de passer des heures et des heures sur un écran, à faire des recherches pour justifier une politique. J'étais là à me dire «  ta place, c'est de faire des dessins ». A force de rencontres dans les festivals, je suis devenu ami avec quelques dessinateurs, pour qui il m'arrivait d'écrire des petites histoires. Un jour à Berlin, j'ai dit à Flix, un dessinateur très connu en Allemagne, que j'arrêtais mes études et que j'allais sans doute retourner vers le dessin... Quelqu'un du Spiegel lui a demandé s'il connaissait un dessinateur qui serait capable de faire 5 planches par mois... il m'a recommandé. Au début j'avais honte d'avoir une telle chance. Maintenant ça fait 5 ans que je le fais, et j'arrive à admettre que si c'était mauvais, ils n'auraient pas continué avec moi. Même si je n'ai pas de contrat, ça me stabilise un peu, ça me permet de faire de l'illustration et des scénarios à coté.

Quelle est la bd qui t'as donné envie de dessiner, qui t'as donné envie de continuer ?

À 6 ans, une copine m'a conseillé de ne pas lire de Lucky Luke parce que ça me donnerait des cauchemars. J'ai donc pris un Lucky Luke. Et je l'ai adoré. Et c'est la BD qui m'a donné envie de dessiner. Vers 14 ans, j'ai découvert Lewis Trondheim avec Lapinot, et ça m'a parlé, ça m'a redonné l'envie de faire des BD. Maintenant, chaque semaine quasiment, il y a une BD ou un livre d'illustrations que le lis et qui m'enthousiasme.

Comment se passe pour toi l'élaboration d'un livre ?

L'élaboration de l'histoire est le moment le plus important. Comme je travaille pour des choses assez différentes, j'ai souvent des demi-idées, pas encore prêtes, que j'ai depuis un petit moment... Pour le QRT, qui va paraître chez Reprodukt, je vais tout redessiner, parce que j'ai progressé entre-temps. Jusqu'à présent, je faisais tous les crayonnés, et j'encrais tout à la fois, pour pouvoir répondre aux remarques de l'éditeur sur les crayonnés. Avec Reprodukt, qui me fait assez confiance, je peux encrer aussitôt. La discussion sur le dessin peut m’entraîner à changer des choses, ou au contraire à rester sur mes positions. Mais comme je suis encore complexé par rapport à mon dessin, j'ai tendance à faire d'abord mes crayonnés et après l'encrage tout à la suite pour que ça soit cohérent. Ce que je vais faire pour mes futurs projets, c'est dessiner tout de suite sans crayonné, pour me libérer du coté pénible, trouver un style où je vois moins d'erreur.

Comment as-tu entendu parler de cette résidence ?

C'est la première fois que cette résidence est ouverte à des auteurs de bandes dessinées. Elle n'est pas connue du tout dans ce petit monde C'est mon oncle qui m'a donné l'info, en me disant que ce serait parfait pour moi. Ça m'a intéressé tout de suite, en particulier parce que les choses que j'adore le plus viennent de France, que ce soit en BD ou en musique. J'ai été abonné à Spirou quand j'ai commencé à apprendre le français... pour moi c'est le pays de la BD : je voulais être proche de ce pays merveilleux.

Tu es venu avec l'intention d'avancer sur 2 projets... comment ont-ils évolués?

J'avais travaillé avec Reprodukt sur un autre projet, un livre pour enfants qu'ils trouvaient très bien, mais sur lequel ils avaient des doutes, des craintes que ça ne marche pas. Lors des discutions, je leur ai glissé des images de QRT, qui les a vraiment intéressé. Et de ce fait, ça m'a donné encore plus envie de me consacrer à mes 5 pages mensuelles en sachant qu'un jour il y aura un livre. Ils avaient de la place rapidement dans leur programme éditorial. J'ai un peu mis de coté mon livre pour enfant. La majeure partie du temps a été consacrée à ce recueil de 130 pages que je dois dessiner en 4 mois. Il me reste 2 mois à faire le reste. J'avais beaucoup de travail, et peu de temps pour faire autre chose. L'autre projet, une longue histoire de 250 pages, que je vais faire sans éditeur, a un peu avancé coté scénario dans les moments de creux. Je ne pensais pas finir tout, mais j'ai bien avancé, je suis content. Si je devais faire une autre résidence, je préférerai ne pas avoir de projet. J'aurai aimé arriver ici sans idée, et développer quelque chose qui est directement inspiré de mon séjour ici, et avoir plus de temps pour rencontrer des gens, avoir des discussions, faire évoluer des idées... plutôt que de ne faire ici qu'un travail d’exécutant ».

Qu'as tu découvert du monde de la BD ici ?

Ecla m'a accueilli en me faisant rencontrer quelques d'auteurs qui m'ont tous invité chez eux. Je suis passé aux ateliers Demons, où j'ai rencontré des auteurs qui font des choses très différentes, et malgré ça, qui sont très proches. J'ai vu comment Christian, Alfred et David discutent... quelque chose d'inimaginable. Ce lieu est très inspirant, émulant, et très accessible financièrement pour des auteurs. Moi à Cologne, c'est grâce à mon boulot un peu stable au Spiegel que je peux me payer une place dans un atelier. J'ai été très étonné quand je suis arrivé ici de voir comment les dessinateurs et les institutions sont proches. Ils savent tous ce sur quoi tel ou tel auteur travaille...

Le fait d’être en résidence, loin de chez toi, qu’est-ce que ça t’apporte ?

Je dois finir mon bouquin, que ce soit chez moi ou ici. Je préfère largement le faire ici. Il me faut peu pour avoir, dès que je sors de chez moi, des choses très intéressantes qui me font un peu oublier l’horreur, la douleur de travailler beaucoup. Et voir d’autres dessinateurs, voir comment ils vivent, ça m’encourage beaucoup. A Cologne, je ne connais que très peu d’auteurs, ils habitent tous à Berlin. Et j’ai vu beaucoup de choses intéressantes ici, plus qu’en 6 mois chez moi. Je suis extrêmement content de l’avoir fait. Je pense que je profiterais de l’énergie de cette résidence encore pendant quelques temps de retour chez moi... Parce que j’ai vraiment l’impression d’avoir vécu une aventure. Je vais finir mon séjour en découvrant un peu plus la région, en me baladant, avec un carnet de croquis.

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