dimanche 11 mars 2012

Denis Podalydes, fan de Tintin

On l'a déjà vu plusieurs fois ici : Bruno Podalydès est un amateur de Tintin, et un formidable cligneur. J'ai vu tous ses films, sauf Le parfum de la dame en noir.
Dans les bonus des Bancs publics, à travers l'expo qui lui était consacrée, j'ai découvert ce tableau :

Expo à Versailles

qui apparait brièvement dans ce film !


Mais y pas que ça...

3 commentaires:

  1. un entretien avec BP trouvé sur ce blog

    On se rappelle qu’Hergé avait contacté le cinéaste américain Steven Spielberg pour porter à l’écran Les Aventures de Tintin. L’affaire ne se fit pas... Bruno Podalydès, lui, ne tourne pas des superproductions d’action. Et il n’a jamais songé – sacrilège ! – à adapter Tintin (qu’une grande exposition célèbre à Paris, au Centre Pompidou), mais son inspiration de cinéaste porte la trace, visible ou discrète, de la lecture – et de la relecture – de Tintin depuis l’enfance. Citations et hommages dès ses premiers films, Versailles-Rive gauche (1992) et Dieu seul me voit (1998). Air de famille revendiqué avec ses adaptations du Mystère de la chambre jaune (2003) et du Parfum de la dame en noir (2005), d’après Gaston Leroux. Rouletabille, le héros, pourrait bien être le cousin du reporter du Petit Vingtième ; et, dans le second volet, Podalydès tire ouvertement l’intrigue vers le loufoque, avec jumeau barbu tout droit sorti du Sceptre d’Ottokar ou mini-sous-marin comme dans Le Trésor de Rackham le Rouge
    Plus généralement, les héros imaginés par le cinéaste de Liberté-Oléron et interprétés par Denis Podalydès, son frère – les Dupont et Dupond du cinéma français ? –, peinent à se dépouiller de leur part d’enfance. Ils font rire, souvent à leurs dépens, et s’intègrent mal au monde des adultes. Ils ressemblent assez à des personnages d’Hergé. Ou à certains lecteurs inconditionnels de Tintin… Et s’il refuse le fétichisme des tintinomaniaques, Bruno Podalydès ne résiste pas, à l’occasion de l’exposition de Beaubourg, au plaisir d’évoquer le maître Hergé et ses créatures. Autour de quelques cases ou planches choisies par lui, il livre ici un aperçu de son érudition d’amateur enthousiaste.

    Une icône
    « Graphiquement, cette couverture de la première version des Cigares du pharaon me fait jubiler. J’aime la tension qui s’en dégage, cette ombre portée, dont Hergé est d’habitude très économe. Tintin est comme sur une scène, il semble regarder s’il y a du public dans la salle. Il joue la situation pour faire rire et il a peur en même temps. Il m’évoque Woody Allen dans son dernier film, Scoop. Question : Woody Allen a-t-il lu Tintin ?...
    Cette image servait de carton d’invitation à la vente aux enchères Hergé organisée à Drouot en 1995. C’était bizarre de voir des types lever la main pour faire monter les enchères à des niveaux dingues pour s’accaparer la BD de mon enfance et faire de Tintin une icône de l’art contemporain. J’ai été collectionneur avant que le marché flambe, je connais les détails autour desquels se décrète la rareté, une couleur de couverture ou d’un dos toilé, mais Tintin reste quelque chose de très intime dans ma vie. Rien à voir avec le fétichisme des tintinomaniaques qui se livrent à des joutes savantes avec des questions du genre : “Que lit-on à l’intérieur du chapeau perdu par Carreidas dans Vol 714 pour Sydney ?” »

    L’enfance
    « Au-delà d’un plaisir d’enfance, Tintin a été un apprentissage. Je fais partie des gens qui ont appris à lire et à aimer la lecture avec lui. Ça ne me faisait pas tellement rire : pas mal de situations me faisaient plutôt peur. L’intrusion de la momie des 7 Boules de cristal dans la chambre de Tintin m’a terriblement impressionné. Il s’agissait là d’histoires qui “travaillaient” dans la tête d’un enfant. Ce n’était pas aussi boy-scout qu’on a pu le dire. Les personnages ont des accès de folie, il est souvent question d’alcool, d’ivresse…
    Enfin, on découvrait littéralement le monde, dans ces albums. Pas seulement des pays exotiques, mais des choses mystérieuses : ainsi, j’ai longtemps cru que la cocaïne, ça se présentait sous la forme de boules de pétanque, tel qu’Hergé le montrait, bizarrement, dans Les Cigares du pharaon ! »

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  2. La mise en couleur
    « Au début des années 40, Hergé accepte, sur la suggestion de son éditeur, de reformater et de mettre en couleur ses premiers albums. Il ne s’agit pas d’un simple “relookage” mais d’une vraie mutation. Il a atteint une certaine magie graphique avec son travail en noir et blanc. Les personnages sont peut-être moins bien croqués, mais la liberté, la vibration du trait y sont à leur apogée. Il abandonne une forme d’expressionnisme proche du cinéma muet au profit d’une plus grande précision descriptive. Hergé se documente, se rapproche de la réalité. Les décors sont redessinés, ils deviennent même parfois envahissants, au détriment de l’efficacité dramatique. On retrouve là le débat éternel entre la fiction et le documentaire. Ce qu’on gagne en connaissance, on le perd en imagination, en émotion. Tout se passe comme si Hergé se détachait du cinéma, de ses influences, pour assumer plus ouvertement le genre BD, dans lequel, bien sûr, il apportera d’autres innovations graphiques magnifiques. On a l’impression, en fait, qu’au moment de cette remise à plat il prend conscience de la force de son art, le rationalise, le formalise, le lisse, pour aboutir à ce qu’on appellera ensuite la “ligne claire”. »

    L’art du mouvement
    « Quand on se replonge dans les albums à l’âge adulte, on a tendance à détailler les cases une à une, pour voir comment ça marche – ce qu’on n’a évidemment jamais fait enfant. On découvre alors ce qu’il y a de plus gracieux chez Hergé : un art incomparable du mouvement. Une planche, c’est un flux continu. Chaque case prend en compte le mouvement de la case précédente et relance la lecture vers la case suivante. On perçoit cela aussi bien dans les très belles arabesques d’un combat aérien, la trajectoire d’un couteau lancé par un méchant vers Tintin, ou les contorsions burlesques d’un personnage qui chute. Cette sensation de mouvement est renforcée par un sens de l’ellipse sidérant, notamment dans la construction d’un gag. Il y a, chez Hergé, une science du rythme et du montage au sens cinématographique du terme. »

    Le plaisir de la citation
    « Faire référence à Tintin, quand on est adulte, c’est une façon de ne pas se prendre au sérieux. J’ai fait reconstituer à l’identique le restaurant syldave Klow du Sceptre d’Ottokar dans Dieu seul me voit ; on voit le tableau du chevalier de Haddoque du Secret de la licorne dans Le Parfum de la dame en noir ; et mon goût pour les ombres chinoises vient tout droit d’Hergé, qui en a réalisé de somptueuses. Dans mes films, ces citations visuelles sont des balises qui me reconnectent avec l’enfance, mais sans nostalgie. Je les utilise comme une forme d’espéranto qui “parle” à beaucoup de gens. Dans une des meilleures bandes dessinées récentes, Le Photographe, d’Emmanuel Guibert, qui met en scène une mission humanitaire dans l’Afghanistan d’aujourd’hui, le narrateur le formule explicitement : “Par moments, je pense à Tintin. C’est vraiment quelque chose, Tintin. On a souvent l’impression qu’il est passé par où l’on passe.” »

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  3. Le sacerdoce d'Hergé
    « Je n’ai pas envie d’établir une hiérarchie entre les albums. Je vois Les Aventures de Tintin comme un corpus de vingt-trois albums dans lequel on peut creuser sans fin. On constate alors qu’il y a eu une grande évolution. Comme beaucoup de grands artistes, Hergé était une éponge : tout en innovant, il s’est imprégné du monde où il vivait. Et l’évolution, c’est aussi celle de sa famille de personnages, qu’il étoffe comme Tournesol ou Haddock, qu’il fait réapparaître, métamorphosés, après quelques albums, comme le général Alcazar ou l’infâme Rastapopoulos. Il a dessiné Tintin toute sa vie. Un véritable sacerdoce, qu’il a exercé non sans souffrir à certaines périodes. Dans le journal tintin, on trouve quelques dessins étonnants où Hergé se représente tyrannisé ou manipulé comme une marionnette par son personnage !
    Dans les années 60, il réalise, avec Les Bijoux de la Castafiore, son album le plus surprenant. Pas d’expédition lointaine, toute l’action se déroule à Moulinsart. Loin d’être une panne d’inspiration, il s’agit en fait d’une réflexion d’Hergé sur l’aventure, qui n’est pas forcément exotique et lointaine. Ici, c’est notre imagination de lecteur qui travaille sur presque rien : une chaîne de malentendus où la communication est constamment parasitée entre tous les personnages. Hergé démontait son propre système, et c’était passionnant. Les intellectuels l’ont encensé, mais le grand public a boudé. »

    Tintin : une bible ?
    Les Aventures de Tintin peuvent se lire comme une sorte de bible. L’œuvre recèle toutes sortes de paraboles et des situations qui renvoient de manière troublante à des événements contemporains. Comment ne pas entendre un écho direct à la rhétorique de Bush sur la guerre en Irak dans le discours du délégué japonais à la Société des nations (SDN) après l’invasion de la Chine, qui présente son pays en « gardien de l’ordre et de la civilisation… » (Le Lotus bleu) ? Mais on peut aussi s’en servir, plus simplement, pour dialoguer au quotidien. Il suffit de trois cases bien choisies. J’ai envoyé à mon beau-père un passage où Tintin se moque du cornet acoustique de Tournesol : “Vous savez qu’il existe des appareils !” Et Tournesol répond : “Ah, oui, mais ça, c’est pour les sourds…” »

    Entretien paru sur Télérama.fr

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