Un homme est mort est encore une bonne surprise parue chez Futuropolis, qui, il faut le rappeler est la petite sœur des peu scrupuleuses éditions Soleil (bastons et gros nichons).
Davodeau s'est spécialisé dans les BD-reportages. Chez Delcourt étaient parus Rural qui racontait la vie et la lutte d'habitants expropriés au passage d'une autoroute et Les mauvaises gens, révelant l'engagement de ses parents aux JOC.
Avec Kris, qui l'a aidé pour les recherches documentaires, l'a accompagné lors des repérages et assisté pour la mise en oeuvre du livre, il nous raconte l'histoire extraordinaire d'un film disparu. Le livre raconte l'arrivée de René Vautier, cinéaste militant proche des communistes, dans son finistère natal après des reportages en Afrique du nord et en Ireland. Brest et ses chantiers de reconstruction est en grève. Les ouvriers demandent une augmentation de salaire... La situation est bloquée. Des députés communistes sont emprisonnés et une grande manif se prépare. Vautier ne pourra s'y rendre, il est recherché par les flics, à cause d'un documentaire sur les horreurs déchainées par l'armée française en Afrique. Les flics tirent dans la foule. Un homme meurt.
Vautier va alors réaliser un documentaire sur les chantiers, sur les piquets de grève, sur l'enterrement d'Edouard Mazé. Pour se souvenir, pour montrer partout comment les travailleurs se battent à Brest. Il va réaliser le montage avec les moyens du bord, et enregistrer le poéme d'Eluard Un homme est mort, en remplaçant 'Gabriel Peri' par 'Edouard Mazé' pour illustrer le film.
Ce film sera projeté 150 fois dans Brest. Il permit aux ouvriers de garder espoir, de rester soudés, d'avoir une vision extérieur de leur mouvement, d'en déceler la portée. Les patrons cédèrent devant ce bloc décidé.
Le film tomba en miette lors de sa projection dans un ciné club à Paris. Il n'existe pas de copie. Il ne reste que des souvenirs. Vautier voulait montrer son film à Eluart, il ne lui diffusa que l'enregistrement de l'interprétation de son poème par Ti Zef, petit ouvrier sans culture "noble". Le poéte fut boulversé.
Le livre, comme le film, est un documentaire militant. On est du coté des ouvriers, et d'ailleurs on ne voit jamais les patrons, juste leur bras armé. Le livre est un documentaire sur la vie en 1950, sur la réalisation d'un film à cette époque. Ce livre est plein d'humanité. Je me rappelle du choc que j'ai eu en lisant Quelques jours avec un menteur de Davodeau. C'est, je crois (il faudrait que je me le remette en mémoire) l'un de mes livres préférés. Au travers d'une histoire sans grand intérêt, on découvre des hommes, des relations, l'amitié. C'est le premier livre réellement humain que j'ai lu. Ce livre ci est dans la continuité (après ses loupés parues dans Sang-froid).
C'est un livre indispensable, à bien des égards.
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A l'occasion de la sortie du livre, un court-métrage de Vautier a été projeté. Il met en scène un cinéaste qui vient d'assister à une scène de racisme ordinaire et au matraquage d'un arabe par deux flics. Il justifie son inaction, d'abord en disant qu'il n'était sans doute pas le seul à avoir assisté à la scène, puis en disant que son âme d'artiste a été prise en otage par cette scène, qu'il a été presque violé, obligé de la voir. Il doit réfléchir... Il va monter un projet, faire son film, dans 3 ans, sans doute 5. Il se confie à sa maitresse. Elle joue le rôle du spectateur, qui met le cinéaste face à ses contradictions, qui l'oblige à se justifier. Et qui se révèle aussi lâche que nous pourrions l'être, enfoncée dans son petit confort.
Vautier joue le rôle du cinéaste parce qu'aucun acteur n'a voulu jouer ce rôle. Ce court-métrage semble avoir été construit sans dialogue écrit. Vautier parle, naturellement, sans s'arrêter, en plan fixe, sans coupure. Il se met véritablement à la place de ce cinéaste. Il met en lumière la différente entre le cinéaste-artiste, proche de son nombril, et le cinéaste-documentairiste, proche de celui des autres.
Picasso à peint Guernica, aucun cinéaste français n'a filmé l'Algérie.
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