mercredi 27 septembre 2006

Journal d'un chirurgien

Charles Masson n'est pas auteur de bandes dessinées, enfin, pas seulement : il est ORL dans un service de cancérologie, à Lyon au moment où se déroule l'histoire. Ses différentes expériences l'ont amené à écrire un livre poignant, dans la collection écritures (la seule chose à lire chez Casterman...).
C'est Soupe froide, ça raconte l'histoire d'un clochard atteint d'un cancer, qui fuit l'hopital, son manque d'humanité et de considération (on lui a servi de la soupe froide).
   
Les dialogues sonnent vrai, car ils ont été entendu au fil de ses rencontres. Cette histoire est un condensé de situations vécues, et on rentre dedans, on la vit entièrement. C'est terrible, c'est humain, c'est triste.
Bonne santé est construit différemment. C'est un recueil de 6 histoires, 6 médecins qui se racontent, sans lien entre elles. Elles sont séparées par des dialogues entre le médecin, qui fait sa tournée des chambres le 1er janvier, et ses patients. L'auteur n'a retranscrit que ses mots, on devine assez facilement ceux des patients, et ses pensées. Il a du mal à souhaiter une bonne année à ces gens qui vont mourir... Cette tournée est une corvée ! Il a beaucoup de distance avec ses malades, et heureusement qu'ils n'entendent pas ce qu'il pense ! Ses réflexions renvoient à beaucoup de dureté, d'agacement (le train-train, la fatigue) et aussi de tendresse. On découvre, notamment grâce aux 6 histoires, que cette distance est nécessaire. Les 6 petites chroniques nous font découvrir le quotidien d'un médecin, à côté de son travail proprement dit. On est dans les relations, souvent avec les malades, parfois avec ses collègues, peu avec leur famille. Et les relations, c'est ce que nous sommes. Il nous parle de nous.
Le menteur. Le medecin offre un cadeau à son amie. Elle découvre qu'il la trompe, il soutient le contraire, envers et contre tout. Contre les évidences. Elle le quitte, et lui, peu troublé, retourne avec sa maîtresse. Il lui offre le cadeau, qu'elle a vu chez lui, elle sait qu'il était destiné à son amie. Mais lui affirme que non... Ce médecin est un menteur professionnel. Il nous confie que c'est ce qu'on apprend dès le début de l'internat : le pieu mensonge. Il offre de l'espoir aux désepérés, aux malades sans avenir... Il offre la vie. 
Le prof. Le médecin est chez sa maitresse, il parle. Il raconte sa journée, elle écoute, s'endort un peu. Il a merdé aujourd'hui, une femme est morte sur sa table, et c'est très rare dans son service. Il est le chef du service, celui qui à la manivelle pour que le jour se lève. Mais là, il a merdé. Il se sent comme un petit enfant, perdu devant une maquette à monter... il espère celui qui lui dira comment s'en sortir... mais aujourd'hui, il est celui là : il ne peut compter que sur lui.
Et il se sent si faible. La mort de cette femme l'a choqué...
Les pantoufles. Un médecin en week-end à la compagne raconte la venue des "campagnards" à son hopital. Ce récit mêle des images de sa promenade au village (et sa visite à un ancien patient dans une ferme) avec des scènes cocasses, dures et tendres de petits vieux en pantoufles, débarquant à la ville. On sent beaucoup de compassion, d'intérêt pour ces gens perdus... Le passage de l'annonce du diagnostic est terrible. Le constat qu'il fait de la vie gâchée de son ancien patient nous ramène à nos vies... L'histoire se termine par ce vieux fermier, qui fume à travers le trou qu'il a dans la gorge...
La carapace. Un médecin décrit la vie à l'hopital. Celle des médecins, avec leur humour gras et leur univers machiste. Les jeunes internes se font bizuter, et se mettent une carapace (symbolisée de manière assez drôle dans les petits gags) pour rentrer dans la grande famille. Mais il y a des moments magiques entre parenthèses, où le medecin redevient un homme, et parle normalement avec son infirmière, de peinture, de littérature... L'histoire est entrecoupée de petits gags, sous forme de strip, dessiné avec un style plus clair. Le running gag est très drôle.
Mme Lustucru. Un scénariste propose une histoire à un producteur, qui lui avait déjà refusé Soupe froide. Il lui raconte l'histoire de Mme Lustucru, une patiente incurable, sans traitement possible, qui étouffe, que le médecin opère depuis quelques jours chaque matin pour lui enlever la tumeur qui grossit sans arrêt... Elle se réveille après l'opération, heureuse : elle croit qu'elle est morte. Puis réalise que non, que ça va recommencer... Elle demande à ce qu'on arrête ce cirque... qu'on la laisse enfin... Le médecin le lui promet. Conscient de son rôle de bourreau, il envoie un collègue le lendemain, faire le nécessaire, l'accompagner...
Romance. L'éditeur repproche à l'auteur de ne parler que de choses noires. Quand on lui annonce les morts de la nuit, il dit que c'est une bonne chose de faite... que lorsque la mort est la fin d'un cauchemar, qu'elle arrive dans la nuit, sans souffrance, c'est une bonne chose. La belle histoire qu'il raconte (celle d'une mère qui meurt juste avant son fils malade, après l'avoir veillé chaque jour) n'en est pas vraiment une...
    
Bien sûr, ce sujet me touche de près, et je pleure tout au long du livre. Mais ce livre (ainsi que Soupe froide), je l'ai partagé avec Nat, on l'a aimé dès le début, tout simplement parcequ'il raconte quelquechose, il parle de la maladie, de la vie et de la mort. Le ton est vrai. Ce genre de livre est très rare en BD, et c'est celui que je préfère (je l'ai déjà dit pour La Marie en plastique et je le redirai pour les suivants que je critiquerai...).

La mort est très présente dans ce livre, c'est quelque chose qui obsède l'auteur. Il pense à la mort de sa fille, il rit pour se protéger.

Les récits sont souvent illustrés par des images de la vie, une ballade que fait le médecin dans la campagne, et parfois, l'illustration colle avec ses pensées (il parle du vide, et passe près d'une piscine). On n'est pas complètement à l'hopital, parcequ'il nous entraine ailleurs, mais tout nous y ramène finalement... Le dessin peut rebuter au début, et c'est vrai que je n'en suis pas très fan. Mais le dessin est le vrai piège en BD, mes plus grandes déceptions sont liées à des achats faits sur le dessin (il y a moult jeunes auteurs talentueux, et de vieux bons auteurs qui n'ont plus rien à raconter), et mes plus grands bonheurs au dépassement de ce premier dégoût (je n'ai lu Rebecca à l'INRA qu'après avoir lu tout le reste qui m'interessait, et après l'avoir reposé 15 fois : c'est pourtant un chef d'oeuvre). Le dessin de Masson est simple (le N&B accentue cette impression), adroit, mais je n'aime pas sa manière d'encrer. Ca n'est en aucun cas une gêne pour la lecture...
Plongez-y...

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